AIRS DE PARIS

Créativité et Cultures

Conférence: La culture chinoise

 

La culture chinoise: 

La sagesse, la culture du bambou et les proverbes

Conférence de Jincheng NI,  24 mars 2023

au Café Mulot, Maison de Victor Hugo

 

Un peuple a sa culture. Dans un pays rural, quand la très grande majorité du peuple n’est pas éduquée et ne sait pas écrire ni lire, comment enraciner sa culture et comment transmettre cette culture ? Pour le peuple chinois, la réponse se trouve dans les proverbes transmis oralement de génération en génération. C’est grâce à ce véhicule, on peut dire que les Chinois sont nés de culture chinoise.

En effet, la langue chinoise fourmille de proverbes, maximes et dictons. Ces expressions toutes faites, perles de culture ciselées par les siècles, transmettent de manière allégorique et légère des vérités exemplaires et morales. Le livre « Gemmes de sagesse chinoise, 108 proverbes pour toutes les occasions » explique la sagesse chinoise à travers les proverbes.

 

La sagesse chinoise à travers les proverbes

 

Pour rendre en français toute la richesse et l’arrière-plan de ces perles de sagesse, il a fallu l’amicale alchimie culturelle qui lie les deux auteurs : Cyrille Javary et Ni Jincheng, l’un Chinois venu vivre en France, l’autre Français attiré par la Chine pour l’étude du Yi Jing, le vieux classique chinois.

Il y a des milliers d’années, sont nés les proverbes chinois, condensations de récits légendaires et fabuleux, issus le plus souvent de faits historiques ou directement issus des grands classiques chinois (Confucius, Laozi, Yi Jing, etc.). Chaque proverbe chinois représente le plus souvent un morceau d’Histoire de la Chine.

Ces sentences, connues de tous les Chinois, appuyées sur l’évocation d’un événement historique précis, sont en même temps une ouverture à la sagesse chinoise traditionnelle et un éclairage sur l’histoire millénaire de ce grand pays. Ces expressions sont un mode de communication délicat qui permettent d’en dire beaucoup en quelques mots. Ce sont des condensateurs d’intentions et d’expressions.

L’histoire de ce livre remonte au 4 janvier 2010. A la demande de Roland Bonnepart, directeur des régions SNCF de Paris St Lazare et de Haute et Basse Normandie, NI Jincheng, d’origine chinoise, qui était directeur du développement, commençait à transmettre le premier lundi de 2010 un proverbe chinois par semaine aux membres du comité de direction afin de faire partager sa culture.

Le but était aussi d’apporter des éléments de la sagesse chinoise multimillénaire, dans un monde marqué par l’immédiateté. Chaque lundi matin, au début du comité de direction, les membres partageaient d’abord ces éléments de sagesse avant de traiter l’ordre du jour proprement dit. Il s’agissait d’instants riches, utiles et qui ont été appréciés par tous.

En 2011, NI Jincheng a rencontré au cours d’une conférence au Sénat un sinologue, Cyrille J-D JAVARY. Ils ont commencé alors à travailler ensemble sur la restitution en français des proverbes de la sagesse chinoise. En 2017, grâce aux encouragements de M. ZHU Renlai, éditeur des Éditions Pacifica à Paris, Jincheng NI et Cyrille JAVARY ont commencé à travailler à une version plus travaillée de ces proverbes en se rencontrant régulièrement au cœur du quartier latin, dans un café au nom prédestiné « Les Éditeurs » dont les murs sont tous garnis d’étagères remplies de livres.

La sagesse chinoise préconise d’apprendre tout au long de la vie, c’est aussi la conviction des auteurs. Ainsi après trois ans de labeur, leur ouvrage a été édité aux Éditions Pacifica début 2020, permettant à un plus grand nombre des gens d’apprendre la sagesse chinoise.

Pourquoi 108 proverbes ? Et non pas 100 comme on aurait pu s’y attendre ? Parce que 108 est un chiffre très chinois et tout à fait illustratif du mode de penser propre à l’esprit chinois. Peuple de paysans sédentaire, les Chinois accordent une grande importance à la mesure cyclique du temps. Celle-ci est dominée par le rythme duodénaire qui, dans la Chine traditionnelle était la rythmique des douze heures de la journée (ces heures avaient donc une durée double des heures actuelles, ce qui explique pourquoi ces dernières sont appelées en chinois actuel les « petites heures » 小时xiǎo shí). Ce cycle se projetait dans la rythmique du cycle annuel (les 12 mois de l’année) et également dans la rythmique zodiacale astrologique (retour du même animal tous les 12 ans).

Multiplié par 2, premier nombre Yin, ce cycle duodénaire donne la division très ancienne des « 24 périodes solaires » qui pendant trois mille ans ont constitué de précieux repères saisonniers pour les agriculteurs.

Multiplié par 3, premier nombre Yang, le cycle de douze produit : 36, emblème numérique de la mise en action d’un cycle complet comme en témoigne le titre d’un ouvrage de stratégie fort apprécié des dirigeants chinois « les 36 stratagèmes ».

Multiplié par 6, nombre du Yin culminant, le cycle de douze produit : 72 qui est le nombre-emblème d’une confrérie bien ordonnée. Confucius avait 72 disciples de premier rang (et 3.000 de second rang) ; le toit de la majestueuse salle du trône de la Cité Interdite est soutenu par 72 colonnes. Et SUN Wukong, le roi des singes est bien connu de tous les enfants chinois pour ses 72 apparences différentes décrites dans le roman-fleuve « Pèlerinage vers l’Ouest ».

Multiplié par 9, nombre du Yang culminant, le cycle de douze, produit : 108, l’emblème numérique d’un vaste ensemble bien organisé et dont les éléments constitutifs sont chacun bien différenciés. Dans un des quatre grands romans de la littérature chinoise « Au bord de l’eau » qui raconte l’histoire de brigands d’honneurs luttant contre les fonctionnaires corrompus, il y a 108 personnages principaux. Dans un chapelet bouddhiste, il y a 108 grains pour aider les prières intentionnelles singularisées.

Enfin, avantage supplémentaire d’excellent augure, « 108 » comporte le chiffre « 8 » toujours considéré en Chine comme hautement bénéfique. Un dicton populaire dit que le « 108 » est capable de faire disparaître tous les ennuis. Pourquoi pas. De toutes façons, s’imprégner de la sagesse de ces 108 proverbes est certainement de bonne utilité dans la vie de tous les jours.

 

La culture chinoise du bambou

 

La Chine est le royaume du bambou. 40% de toutes les espèces de bambou connues dans le monde et environ un cinquième de l’offre mondiale de bambou sont cultivées en Chine.

Le bambou a une histoire incroyablement longue en Chine et il fait toujours partie intégrante de la culture chinoise. De nombreux poètes de l’ancienne Chine ont popularisé le bambou dans l’art de vivre chinois. Le « Livre des Odes » (Classique de la Poésie), le premier recueil de poèmes de Chine du 11ème siècle au 6ème siècle avant notre ère), comprend déjà un grand nombre de poèmes sur bambou. Su Shi (1037-1101, dynastie Song), originaire de Sichuan, est un des plus grands poétes chinois. Dans un de ses poèmes, il écrit qu’on peut ne pas manger de viande pour vivre et on ne peut pas vivre (dans une résidence) sans bambou.

Dans la culture traditionnelle chinoise, le bambou est au même rang que les fleurs de prunier, les orchidées et les chrysanthèmes, chacun étant utilisé pour symboliser un aspect du caractère d’une personne idéale dans la culture traditionnelle chinoise. Le bambou représente le caractère tranquille, flexible, humble et simpliste, et un emblème de modestie et de force mentale. Ses racines profondes dénotent la stabilité.

Pendant des milliers d’années, de nombreuses peintures traditionnelles chinoises présentent la plante de bambou comme motif de tranquillité, de beauté et d’élégance. Le bambou est un sujet populaire de l’art traditionnel chinois.

Quand on pense à la Chine, on évoque généralement des images de pandas câlins, de la Grande Muraille et aussi des forêts de bambous.

La forêt de bambous du sud de Sichuan de 120 kilomètres carrés, située dans la ville de Yibin, abrite la plus grande et la plus ancienne forêt de bambous de Chine avec de nombreuses espèces de bambous, un musée du bambou, des sentiers de randonnée, des cascades et des grottes.

La forêt de bambous d’Anji est une autre excellente destination qui a notamment été utilisé comme lieu de tournage pour le légendaire film “Tigre et Dragon“. Visiter une pittoresque forêt de bambous chinois est un excellent moyen de se détendre tout en communiant avec la nature.

Le panda géant est un symbole d’amitié, de paix et d’harmonie dans la culture chinoise et emblématique de la Chine. La plante de bambou est l’une des principales sources de nourriture du panda. Le panda et le bambou vont de pair, et sans une abondance de bambou, les efforts de conservation du panda en Chine n’auraient pas été aussi fructueux.

L’art de vivre chinois se reflète dans les jardins. Le bambou est un élément indispensable pour un jardin classique chinois. Au 11ème siècle avant notre ère, le roi Zhou en a déjà construit.

L’utilisation du bambou remonte donc au 11ème siècle avant notre ère (Dynastie Zhou). Tout au long de l’histoire de la Chine, le bambou a été utilisé pour créer de la nourriture, des moyens de transport, des armes, des logements, des instruments, des livres etc.

Dans la Chine ancienne, avant l’invention et l’utilisation du papier, les lamelles de bambou étaient utilisées comme support d’écriture pour les documents et les livres. Le chef-d’œuvre de Sunzi, L’art de la guerre, qui remonte au 5ème siècle avant notre ère, a été à l’origine écrit sur du bambou.

Les pousses de bambou sont utilisées depuis longtemps dans la cuisine chinoise en tant qu’ingrédient dans de nombreux plats chinois. Le bambou est aussi un récipient de cuisine comme dans le plat du riz au tube de bambou qui se compose d’un tube de bambou évidé rempli de riz gluant et de viande. Ce récipient en bambou ajoute une saveur distinctive au plat pendant le processus de cuisson.

Le bambou est utilisé dans la construction. C’est un matériau de construction polyvalent. Les chantiers de construction en Chine continentale et à Hong Kong utilisent parfois le bambou comme échafaudage.

Le bambou était également utilisé comme moyen de transport. Les radeaux en bambou étaient autrefois couramment utilisés pour la pêche et la traversée des rivières. Aujourd’hui, il est encore possible de prendre une montée sur un radeau en bambou en Chine, par exemple la balade pittoresque de descente en rafting dans la rivière Yulong près de la ville Yangshuo.

La flûte traversière chinoise, un des instruments populaires de la musique traditionnelle chinoise, est faite en bambou. Il est d’apparence minimaliste mais crée un son magnifique et légèrement bourdonnant permettant d’ajouter un charme à la musique traditionnelle chinoise.

Le tissage du bambou est un artisanat traditionnel en Chine qui consiste à manipuler le bambou en divers motifs tissés pour créer des objets à la fois utiles et décoratifs. Le bambou est utilisé pour produire toutes sortes de meubles et d’objets à usage quotidien : baguettes, paniers, passoires, matelas d’été, chapeaux, chaussures, lanternes, chaises,  tabourets, services à thé et tables.

Grâce à sa biodégradabilité et à sa croissance rapide, le bambou reste une excellente alternative aux autres fibres synthétiques et plastiques. Les fibres de bambou peuvent être utilisées pour fabriquer des textiles respectueux de l’environnement.

La beauté de la plante de bambou réside dans sa simplicité et son élégance. La place du bambou est profondément enracinée dans la culture traditionnelle chinoise.

 

Les proverbes chinois

 

La sagesse chinoise se trouve dans les proverbes chinois. De nombreux proverbes chinois font référence au bambou.

胸有成竹 (xiōng yǒu chéng zhú) : Lorsqu’on peint du bambou, on doit avoir une image de bambou dans notre cœur. Ce proverbe signifie avoir un plan bien pensé pour réussir un projet.

破竹之势 (pò zhú zhī shì) : force suffisante pour briser le bambou. Ce proverbe signifie une force irrésistible.

青梅竹马 (qīng méi zhú mǎ) : prunes vertes et chevaux en bambou. Ce proverbe signifie le garçon et la fille d’un couple ont grandi ensemble depuis l’enfance et forment un parfait couple.

竹篮打水 (zhú lán dǎ shuǐ) : utiliser un panier en bambou (osier) pour puiser de l’eau. Cela signifie faire un effort inutile ou gaspillé.

Les proverbes suivants sont extraits du livre « Gemmes de sagesse chinoise, 108 proverbes pour toutes les occasions » :

 

1) Les phrases tirées des classiques devenues proverbiales

千里之行, 始于足下 / Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas

Ce proverbe, qui est si souvent cité tant en Chine qu’en Occident, nous encourage à combattre ce penchant qui nous pousse à reporter au lendemain la tâche qui nous paraît énorme. Quelle que soit la distance qui sépare du but à atteindre, il faut de toute façon la parcourir, alors autant s’y mettre tout de suite, agir avant que la fatigue ne survienne, anticiper les difficultés au lieu d’avoir à les résoudre.

过而不改是为过矣 / Commettre une faute et ne point s’en corriger, c’est ça la faute

« L’erreur est humaine » disait un adage latin qui s’empressait d’ajouter « persévérer (dans l’erreur) est diabolique ». Il arrive à tout le monde, même aux meilleurs, de commettre des erreurs. Faute non corrigée est faute en vérité. Confucius lui-même, à qui est attribuée cette phrase (Entretiens 15/30) a un jour été vertement rabroué par Zi Lu, son plus fidèle disciple, pour avoir rendu visite à une personne de mauvaise qualité (Entretiens 6/28). Plus que la faute elle-même, nous en commettons tous, c’est l’aveuglement, (ne pas s’apercevoir qu’on a mal agit) et la non réactivité (ne pas se corriger) qui constituent l’erreur véritable.

 

2) Les expressions idiomatiques en 4 caractères et les phrases accomplies, policées par l’usage

骑虎难下 / Quand on chevauche un tigre, il est difficile d’en descendre

Car tant qu’on est sur son dos, il ne peut pas vous mordre. On utilise ce proverbe pour signifier à quelqu’un qu’il s’est mis dans une situation embarrassante, non sur le moment, mais à cause du fait qu’il n’a plus aucun moyen de s’en sortir indemne. Combien d’hommes d’affaires étrangers désireux d’investir en Chine, se sont mis en pareille situation par ignorance de la culture chinoise. Dans « le Phormion », une pièce du poète latin Térence (190-159, on trouve équivalent latin de ce proverbe : « auribus teneo lupum » : tenir un loup par les oreilles, momentanément l’empêche de mordre, mais n’est pas une situation durable impossible de s’arrêter à mi-chemin/situation délicate pour laquelle on ne peut revenir en arrière.

削足适履 / Rogner le pied pour l’adapter à la chaussure/suivre les règles à la lettre sans les adapter à la situation

On emploie ce proverbe pour stigmatiser une logique inappropriée dans la résolution d’une difficulté, la dégradation d’un projet pour les rendre conforme à un modèle. On l’emploie pour critiquer une uniformisation au prix d’une déformation, ou bien d’une élimination de ce qui ne rentre pas dans le moule et plus généralement l’arbitraire et la rigidité d’une réglementation incapable de s’adapter aux cas particuliers. C’est l’équivalent chinois du « lit de Procuste », un brigand qui attachait les voyageurs sur un de ses deux lits, les grands sur le petit lit et inversement. Ensuite il coupait les membres de ceux qui dépassaient et étiraient ceux qui étaient trop petit.

 

3) L’aspect idéographique

衙门八字开, 有理无钱莫进来 / La porte du tribunal est grande ouverte, mais sans argent mieux vaut ne pas y aller

Un triste proverbe ce proverbe qui hélas reflète une réalité courante à l’époque impériale. Lors, sans corruption, on ne pouvait espérer obtenir justice. Il permet en revanche de mesurer les progrès accomplis dans l’institution judiciaire de la Chine actuelle. Littéralement le texte se lit : « le yamen (yámen衙门, le nom des bâtiments officiels où résidaient les mandarins ayant autorité policière et judiciaire) est ouvert comme le chiffre « 8 », cette image curieuse de prime abord s’explique tout simplement par la forme graphique du caractère huit : 八.

 

4) Les allusions historiques

无巧不成书 / sans hasard pas accomplir livre/L’histoire est une succession de hasards heureux

Le hasard qui, en occident tient à ce qui est en dehors de toute contingence, en Chine, et surtout dans la culture bouddhiste, est assimilé au destin. Une rencontre heureuse, une affaire malheureuse, tout ce qui fait événement est le résultat d’une opportunité. On emploie ce proverbe pour souligner l’importance de bien saisir une conjoncture.

巧(qiǎo) a deux séries de sens : par hasard / opportunément / en temps opportun d’où : 巧合(qiǎo hé) : chance / hasard / coïncidence / mais aussi : habile / ingénieux / adroit. Or cette phrase est attribuée à 刘备liú bèi, l’un des protagonistes des « Trois Royaumes » (avec曹操cáo cāo & 诸葛亮zhū gě liàng) dont l’habileté stratégique est restée légendaire. Le hasard, c’est quoi ? c’est ce qui vous tombe dessus : mal heurt, bon heurt.

D’où la question : Est-ce que ce sont les héros qui font l’histoire ou est-ce que ce sont les situations qui font les héros ? Le hasard qui, en occident, tient à ce qui est en dehors de toute contingence, est plutôt perçu en Chine, surtout dans la culture bouddhiste, comme le résultat d’une rencontre heureuse ou malheureuse qui fait coïncider une situation momentanée avec le projet d’une personnalité. La réponse chinoise à cette question qui en Occident oppose les pensées politiques de droite et de gauche est : « l’histoire crée le moment que le héros sait saisir ».

 

5) La célébration de l’amitié

衣不如新, 人不如旧 / Pour les habits, rien ne vaut les neufs ; pour les amis, rien ne vaut les vieux

A l’occasion de la fête du Printemps (春节chūn jié, le nouvel an chinois) il était de tradition de revêtir des habits neufs. A l’inverse durant la révolution culturelle, il était bourgeois (donc anti révolutionnaire) de porter des nouveaux vêtements, alors on les élimait préalablement. Et voilà qu’aujourd’hui les jeunes Chinois suivent eux aussi la mode des jeans déchirés. Au-delà de ces variations, ce proverbe, attribué à 刘邦liú bāng le fondateur de la dynastie des Han (- 206 à + 220), veut dire qu’à la différence des habits qui peuvent se déchirer avec l’usage, l’amitié ne peut que se renforcer avec la durée.

 

6)  La raillerie de la stupidité

引足救经 / tirer un pendu par les pieds pour le dégager

Pour porter secours à quelqu’un qui se trouve pendu à une corde, le tirer par les pieds est la plus mauvaise idée qui soit, car elle ne peut qu’aggraver la situation, voire pire, la strangulation. On utilise ce proverbe pour stigmatiser une action maladroite qui, bien qu’entreprise pour un bon motif, n’aboutit finalement qu’à l’effet inverse au but recherché.

刻舟求剑 / Faire une marque sur le bateau pour indiquer l’endroit où l’épée a coulé.

Ce proverbe trouve son origine dans un fait véridique de l’époque des Royaumes Combattants (V°-III° siècles). Un chevalier ayant par mégarde laissé tomber son épée dans le fleuve, il fit aussitôt sur le bateau une entaille juste là où l’arme avait coulé. Aujourd’hui, cette histoire est citée dans tous les livres éducatifs comme exemple d’une stratégie inadaptée et aussi pour se moquer de ceux qui restent accrochés à leurs vieilles habitudes au lieu de s’adapter aux changements en cours.

 

7) Les grandes réalités de la vie chinoise

La pression du regard des autres : 若要人不知,除非己莫为 / Si vous ne voulez pas que ça se sache, le mieux est de pas le faire

La densité démographique est telle en Chine que l’on y vit à chaque instant sous le regard des autres. Or cette surveillance de chacun par autrui qui nous semble difficilement acceptable est finalement perçue comme une efficace incitation à bien se conduire. Et c’est peut-être à cette aune qu’il faut comprendre l’acceptation pacifique des centaines de millions de caméras de surveillance à reconnaissance faciale qui aujourd’hui parsèment l’espace public, qui finalement, disent les Chinois, n’est désagréable qu’à ceux qui contreviennent à la loi. Une autre forme de ce proverbe est « On ne peut pas envelopper des braises avec du papier ».

L’impérieuse nécessité de la face : 人要面子树要皮 / L’écorce est à l’arbre ce que la face est aux humains

Sans son écorce qui le protège des agressions extérieures, l’arbre meurt ; si, d’une façon quelconque, intentionnelle ou accidentelle, un Chinois perd la face, c’est presque pire que s’il avait été blessé à mort. La face, est l’image sociale d’un individu, qu’il projette à l’extérieur et en même temps la cuirasse qui le défend des blessures que la société peut infliger. Mais on peut aussi donner de la face à un interlocuteur, par exemple en le complimentant publiquement.

La délicatesse de la politesse : 泥菩萨过河自身难保 / Un bouddha en argile ne peut pas traverser une rivière

Il s’agit bien entendu d’une statue de Bouddha en argile, qui se dissoudrait si elle était plongée dans l’eau. Dans la tradition chinoise il est courant d’implorer le Bouddha quand on a besoin d’aide pour faire face à une difficulté. On emploie ce proverbe pour refuser poliment une demande à laquelle on ne souhaite pas donner satisfaction.

 

8) L’impermanence des choses

三十年河东,三十年河西 / trente ans sur la rive Est, trente ans sur la rive Ouest

Ce proverbe évoque l’idée du centre de gravité d’une situation, une notion chinoise, développée par l’art du Feng Shui. Ce n’est pas parce que, il y a trente ans, le point focal, par exemple économique, se trouvait dans un certain secteur que trente ans après, l’organisation énergétique de la société ayant changé, il se situe maintenant dans une autre région. Employé dans de nombreuses situations, ce proverbe est aussi, depuis peu employé en Chine pour définir la position relative de la Chine vis à vis de l’Occident et des États-Unis en particulier.

 

9) L’humour chinois

人怕出名猪怕壮 / L’humain doit s’inquiéter de sa renommée autant que le cochon de son embonpoint

Dans l’esprit chinois, les héros existent comme partout, mais ils ne sont pas aussi glorifiés que dans l’imaginaire de la Grèce antique. Pourquoi cela ? Parce que l’esprit chinois considère que celui qui se met en avant, d’abord perturbe l’harmonie et la hiérarchie sociale et surtout se met dans une position qui risque de lui valoir nombre d’ennuis, comme ceux du cochon rebondi qui voit arriver le couteau du boucher. Aussi vieille que la Chine, l’idée exprimée par ce proverbe trouve de très anciens échos aussi bien dans le Yi Jing, (« l’oiseau qui s’envole ne laisse qu’un cri » hexagramme 62 / Jugement), que dans le Lao Zi : « le bel arbre attire la cognée » (木強则共). Il en existe de nombreuses variantes populaires telles « le clou qui dépasse est celui sur lequel le marteau s’abat» ou encore, plus moderne, « le fusil vise l’oiseau dont la tête sort de la nuée ».

上有政策,下有对策 / Les dirigeants font des règles, les peuples les contournent.

策(cè) : stratégie / tactique, 政策(zhèng cè) : politiques publiques, 对策(duì cè) : contre-mesures. Le fossé entre les dirigeants et les dirigés est une réalité commune à tous les peuples. Mais en Chine elle a toujours pris une forme différente, celle du jeu du chat et de la souris. C’est une pratique culturelle courante que de, tout en respectant extérieurement les règles sociales, en fait les contourner pour en tirer un avantage personnel. Cet enracinement de l’individualisme dans le cœur des Chinois, qui le plus souvent était dû au manque et qui explique pourquoi la philosophie chinoise à tant privilégié le collectivisme. Or maintenant que la modernité est une réalité pour le plus grand nombre, cette manière d’être commence à s’estomper.

 

10) La joie de vivre

笑一笑,十年少 / A chaque éclat de rire dix ans de moins

Soulignant la vertu de la jovialité si prisée des chinois qui aiment tant rire, ce proverbe est très souvent compris à l’envers par les occidentaux qui pensent qu’il veut dire qu’à chaque éclat de rire on perd une année de vie alors qu’il dit qu’on rajeunit d’autant donc qu’on gagne des années de vie (la version littérale précise même 10 ans et non pas 1 ans car « 10 » est le symbole numérique de la complétude).  On lui ajoute souvent : « chaque tristesse fait blanchir les cheveux ».

 

culture chinoise 2

 

Pour acheter le livre  « Gemmes de sagesse chinoise, 108 proverbes pour toutes les occasions »:

https://www.fnac.com/a14112882/Cyrille-J-D-Javary-Gemmes-de-sagesse-chinoise

https://www.editions-pacifica.com/fr/accueil/89-gemmes-de-sagesse-chinoise-108-proverbes-9782916578927.html

 

Proposition de lecture :

 

 

 

 

AIRS DE PARIS

Contact : airsdeparis2@gmail.com

Média reconnu par la Commission Paritaire de Publication et Agence de Presse

Copyright 2022 - Airs de Paris - Tous droits réservés