Entretien Exclusive : Yvan Dacquay

 

 

 

QUAND LES LIMITES DEVIENNENT

DES HORIZONS

 

La dernière édition de Première Vision Paris a marqué un tournant décisif pour l’industrie de la mode, érigeant l’événement en véritable architecte de son avenir.

De retour à son calendrier traditionnel, Première Vision Paris 2025 a déployé une approche holistique inédite, alliant innovation technologique, mobilisation européenne et première incursion dans l’univers de la beauté.

En offrant analyses, solutions concrètes et outils opérationnels, Première Vision affirme sa nouvelle posture : bien plus qu’un salon, un partenaire stratégique pour accompagner les professionnels dans les mutations profondes qui redessinent le marché.

Première Vision Paris 2025 a démontré que l’avenir de la mode se construit par la convergence : convergence des technologies, des secteurs créatifs et des dynamiques européennes.

En repoussant les frontières traditionnelles, l’événement ouvre un chapitre inédit où l’inspiration devient action, et la prospective se mue en solutions tangibles pour une mode plus durable, innovante et résiliente.

Yvan Dacquay, Directeur Commercial de Première Vision, a partagé sa vision sur les mutations qui transforment le secteur.

 

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Quelle est la nouvelle stratégie de Première Vision ?

Depuis l’arrivée de notre nouvelle directrice Florence Rousson, notre feuille de route est claire : réaffirmer Première Vision comme pilier central de notre division mode, tout en orchestrant une dynamique collective avec l’ensemble de nos salons.

Si Première Vision demeure le cœur de notre écosystème, nous développons activement tous nos événements.

Tranoï, par exemple, connaît une expansion internationale remarquable, avec des partenariats prometteurs au Moyen-Orient et un salon au Japon dont la dernière édition a rencontré un vif succès.

Notre ancrage en Chine s’effectue quant à lui via Fashion Source, qui incarne notre division mode sur ce marché stratégique.

En tant que Directeur Commercial, ma mission est de fédérer ces entités autour d’une stratégie commune et cohérente. Nous évoluons sur des marchés diversifiés, mais nous rassemblons une communauté unique de plus de 400 000 professionnels – distributeurs, marques, fabricants, designers. L’enjeu ? Déployer une stratégie commerciale sur-mesure et résolument internationale pour répondre à leurs attentes spécifiques.

Cette vision globale intègre naturellement Première Vision Paris, notre salon historique, et plus récemment Montréal, où le lancement de PV Montréal s’est révélé un succès confirmé, avec une deuxième édition d’ores et déjà programmée pour 2026.

En résumé, l’ambition portée par Florence est de piloter l’ensemble de la division de manière transversale et synergique. Mon rôle est d’incarner cette vision sur le plan commercial : définir la stratégie, animer les équipes et garantir une offre à la hauteur des attentes de notre communauté mondiale.

 

Avez-vous constaté une baisse de fréquentation à Première Vision Paris ?

Première Vision reste, plus que jamais, le miroir de son écosystème. Et il faut être lucide : la mode et le secteur textile traversent depuis plusieurs années une période complexe, marquée par des difficultés persistantes pour l’ensemble de la chaîne de valeur — marques, fabricants et usines confondus.

Cette réalité se traduit concrètement : nous observons des fermetures d’enseignes, une baisse des volumes de commandes et, par conséquent, un impact direct sur la fréquentation de nos salons.

Certaines marques réduisent leur présence — en fréquence ou en effectifs — face à des contraintes budgétaires de plus en plus pressantes. C’est là, selon moi, le principal facteur qui influence aujourd’hui le comportement des visiteurs.

 

Comment Première Vision évolue-t-elle dans ce contexte ?

Première Vision Paris conserve son rôle fondamental : celui de lanceur de saisons, de révélateur des gammes couleurs et de plateforme unique en son genre. Son contenu, à la fois visionnaire et opérationnel, reste inégalé dans le paysage mondial de la mode.

Notre stratégie consiste justement à développer des événements complémentaires. Si Paris incarne la vision globale, New York propose une offre spécifique — tissus, confection et accessoires — taillée sur mesure pour le marché américain, répondant aux marques qui ne peuvent systématiquement se déplacer en Europe.

Historiquement, les profils de visiteurs diffèrent entre New York et Paris, comme sur l’ensemble de nos salons. Chaque événement est conçu en fonction des spécificités locales : Paris demeure le cœur battant de la saison, tandis que New York et Montréal adressent le continent nord-américain, Fashion Source rayonne en Chine, et Denim à Milan se concentre sur un segment produit précis.

L’enjeu est de construire une complémentarité cohérente. Mais dans le climat actuel, une réalité demeure : de nombreuses marques manquent aujourd’hui de commandes suffisantes, et parfois même de capacité d’investissement, pour passer à l’acte d’achat.

 

De quoi les professionnels ont-ils besoin aujourd’hui pour survivre demain, selon vous ?

C’est précisément pour cette raison que nous devons incarner un rôle de souffle et de prospective pour le marché.

Lors de la dernière édition de Première Vision, nous avons voulu que chaque visiteur ressente cette dynamique. Nous élargissons délibérément le périmètre traditionnel du salon en intégrant des réflexions stratégiques qui dépassent la simple transaction commerciale : nous apportons une vision à la fois créative et économique, offrant aux professionnels les moyens de se projeter au-delà des difficultés immédiates.

Notre philosophie est de placer nos clients dans les meilleures conditions pour l’avenir : les accompagner en leur fournissant des clés de lecture, du contenu prospectif et des perspectives inspirantes — non pas en leur dictant une direction, mais en leur donnant les outils pour répondre aux défis du marché de demain.

Naturellement, cela ne modifie pas l’ADN fondamental de Première Vision, qui demeure un lieu de rencontre essentiel entre visiteurs et exposants. Mais nous sommes conscients que des deux côtés, de nombreuses entreprises naviguent dans des eaux complexes. Le salon reflète également cette réalité.

Nous observons par ailleurs l’émergence de stratégies divergentes selon les régions, avec parfois un repli sur les marchés domestiques. Cette tendance est compréhensible dans un contexte de tension : lorsque le marché se contracte, la concurrence s’intensifie, les commandes se raréfient et les positions peuvent se durcir.

Première Vision se trouve au carrefour de ces défis, qui sont ceux de l’ensemble de notre écosystème. Plus que jamais, notre mission est de maintenir les connections, d’éclairer l’horizon et de soutenir la transformation de nos industries dans cette période charnière.

 

L’ultra fast fashion fait-elle souffrir l’ensemble des entreprises du secteur ?

La compétitivité aujourd’hui ne s’est pas simplement accrue : elle s’est radicalement intensifiée. La raison est simple : face à une demande et des volumes de commandes en baisse, la capacité de production mondiale reste structurellement supérieure aux besoins réels du marché. Ce déséquilibre fondamental exacerbe les tensions et durcit les concurrences.

Les fermetures d’usines en témoignent, touchant aussi bien la France et l’Italie que la Chine, le Portugal ou la Turquie. Cette fragilisation généralisée s’explique par la montée en puissance de pays proposant des coûts toujours plus compétitifs, à l’image du Vietnam, du Bangladesh ou de l’Égypte. Résultat : des capacités de production excédentaires qui impactent l’ensemble de la filière.

À cette surcapacité structurelle s’ajoute un bouleversement majeur : l’essor de l’ultra fast fashion. Ce modèle a redéfini les règles du jeu en quelques années seulement, impactant tant le business des marques que celui de leurs fabricants. Le marché que nous connaissions il y a deux ou trois ans a été profondément transformé par l’adoption massive de ce nouveau paradigme par les consommateurs.

Lors du dernier Première Vision, nous avons d’ailleurs organisé une table ronde avec les acteurs d’Euratex, aboutissant à une déclaration commune et des engagements concrets contre l’ultra fast fashion. Notre position est claire : ce modèle participe à la destruction progressive de l’écosystème traditionnel de la mode et du textile.

Si certains gouvernements commencent à mettre en place des mesures régulatrices, les dégâts sont déjà visibles : l’ultra fast fashion fragilise désormais jusqu’aux entreprises turques ou chinoises positionnées sur le milieu de gamme, ébranlant les équilibres historiques de notre secteur.

On le voit encore une fois, quelle que soit l’origine des exposants ou des marques, notre objectif reste le même : viser un certain niveau de créativité et de qualité. Ce ne sont pas nécessairement les produits les plus chers, mais ils doivent répondre aux valeurs de Première Vision — à savoir la qualité, la créativité et l’exigence.

 

Avez-vous observé l’arrivée de ces marques de luxe chinoises qui viennent spécifiquement s’approvisionner en « Made in France » ou « Made in Italie » ?

Nous observons une évolution : l’émergence de nouvelles maisons haut de gamme venues de Chine, d’Asie, d’Inde et du Moyen-Orient. Ces créateurs insufflent un dynamisme nouveau au marché et renforcent la pertinence de plateformes comme Première Vision, qui leur permet de découvrir la diversité des offres et des solutions disponibles.

Dans ce contexte, il est crucial de maintenir une offre diversifiée — française, italienne, espagnole, portugaise, britannique — car ces marques de luxe asiatiques, de plus en plus présentes, sont précisément en quête de ce niveau d’excellence.

Pour nos exposants, c’est une opportunité stratégique : elle leur offre une visibilité accrue sur les marchés les plus porteurs de demain. Et c’est précisément notre rôle d’intervenir ici — en créant des connexions entre les besoins et les solutions, entre l’offre d’aujourd’hui et les marchés de demain.

En période de crise, cette dynamique est essentielle. Elle permet aux acteurs du secteur de se projeter avec optimisme, de retrouver confiance et d’entrevoir de nouvelles perspectives de croissance.

 

Assistons-nous à une situation de surproduction dans le secteur ?

Face à un marché saturé, où les capacités de production excèdent largement la demande, la situation devient complexe pour de nombreux acteurs, en particulier ceux qui se sont fortement développés ces dernières années. Pourtant, certains parviennent à tirer leur épingle du jeu en trouvant une place stratégique.

Cette dynamique s’explique par une transformation profonde des marques. Au-delà de l’impact du COVID, nous observons, depuis près de deux ans, une refonte complète de leur fonctionnement, de leurs attentes et de leurs priorités. L’accompagnement doit donc désormais être global : il ne s’agit plus seulement de développement et de qualité, mais aussi de traçabilité, ainsi que d’exigences sociales et environnementales.

Dans ce contexte, une place existe bel et bien pour de nouveaux entrants, à une condition précise : pouvoir répondre à cette évolution avec des produits très spécifiques, porteurs d’une histoire authentique, d’un ADN fort, et d’un engagement sans faille envers la créativité et la qualité.

Reste que, mathématiquement, l’équation est difficile : les capacités de production demeurent trop importantes pour la demande actuelle.

Cette pression contraint les entreprises à se réinventer. C’est d’ailleurs le sens de notre thème fort pour l’édition de septembre : l’innovation et la technologie. Ces leviers sont indispensables pour se projeter, identifier les matières d’avenir, ou encore développer des méthodes de traçabilité et de recyclage pertinentes.

Ces investissements en efforts, en adaptation et en capitaux sont considérables et ne seront pas à la portée de tous. C’est précisément pour cette raison que nous souhaitons accompagner les entreprises sur ces enjeux.

Parce qu’en réalité, c’est bien là que se jouera la différence : dans la capacité à s’adapter rapidement, à investir dans les bonnes technologies et les processus adéquats, et à anticiper, au-delà des commandes immédiates, les besoins futurs du marché.

 

Comment développer, collectivement, notre capacité à nous orienter et à avancer ensemble dans un paysage complexe ?

Face à un secteur en pleine mutation, une évidence s’impose : il n’existe aucune solution unique. Notre rôle consiste avant tout à identifier et à clarifier les enjeux industriels majeurs, comme le fait notre programme Better Way sur la durabilité.

Notre mission ne consiste pas à proposer une baguette magique, mais à fournir une boussole. En couvrant un large spectre de sujets, nous dotons nos partenaires d’outils, d’informations et de perspectives variées.

L’objectif ? Leur permettre de s’approprier ces ressources, de s’orienter en pleine conscience et d’opérer les choix stratégiques alignés avec leur vision. Nous ne prescrivons pas de chemin ; nous les armons pour qu’ils construisent, ensemble, l’avenir de toute la filière.

Cet accompagnement doit toutefois s’adapter à la diversité des réalités du marché. Certaines marques, par leurs volumes ou leurs typologies de produits, se tournent naturellement vers l’innovation et la technologie. D’autres, axées sur des séries limitées et des savoir-faire d’exception, recherchent avant tout une identité forte et une réelle différenciation.

Cette dualité impose à chaque pays de définir un positionnement clair. Les entreprises françaises, par exemple, font face à un paysage particulier : une grande partie de la production, notamment dans le luxe, s’est déplacée en Italie pour des questions de volumes. La France, elle, excelle dans les productions en petites quantités, alliées à un savoir-faire d’excellence — un atout qu’il s’agit de cultiver et de valoriser.

Trouver l’équilibre reste un défi, particulièrement pour les acteurs historiquement structurés autour de la grande série. Aujourd’hui, il devient nécessaire de repenser son modèle et de s’adapter aux nouvelles réalités du marché.

Cette adaptation passe aussi par la diversification. Confrontés à un ralentissement dans la mode, certains groupes explorent désormais de nouveaux débouchés : tissus techniques, ameublement, décoration d’intérieur… Autant de marchés qui leur permettent de rééquilibrer leur activité et de renforcer leur résilience.

En résumé, l’avenir appartient à ceux qui sauront conjuguer excellence ciblée et agilité stratégique, en s’appuyant sur une vision claire des forces de leur territoire et des évolutions de la demande.

 

Pourriez-vous nous parler un peu de l’édition 2026 ?

Dès février 2026, Première Vision placera ses focus sous le signe des territoires de savoir-faire. L’objectif est de mettre en lumière la singularité et la complémentarité de ces écosystèmes, en valorisant des approches et des expertises résolument distinctes.

Pour cette première, nous envisageons de mettre à l’honneur la France, le Japon et le Portugal, trois territoires dont les philosophies et les méthodes présentent des contrastes particulièrement inspirants. Il s’agira de proposer une démonstration vivante du savoir-faire français, historiquement au cœur de notre identité, tout en créant des espaces pédagogiques pour en expliquer les implications concrètes, en impliquant l’ensemble de la filière.

Au-delà de la simple exposition, l’ambition est d’initier une réflexion stratégique sur la création des partenariats de demain et sur l’intégration de ces savoir-faire dans une dynamique internationale. Nous constatons en effet un intérêt croissant de l’international pour l’excellence et l’authenticité portées par des territoires comme la France.

Notre feuille de route pour février 2026 est donc claire : collaborer avec l’ensemble de la filière, et notamment avec les nombreux acteurs qui constituent des piliers de Première Vision Paris, pour concevoir un espace dédié. Cet espace aura pour mission de magnifier ces savoir-faire uniques et d’en renforcer le rayonnement sur la scène mondiale.

 

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Interview: Wendy

Rédaction : Hérve

 

 

Magazine digital: 2025 – Automne


Imane et Jean Marc 8

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