Pierre Constant : Le Guide des styles

 

Plus que jamais, la notion de styles est dans la tendance. Comme comprendre les styles ? Est ce que le style français reste toujours le style par excellence au travers le monde ?

Conférencier des musées de la Ville de Paris, attaché au musée des Arts décoratifs, professeur à l’École Camondo, Jean-Pierre Constant nous décrypte les grands courants du design dans l’histoire.

 

Jean Pierre Constant 300

 

Pourriez-vous nous parler de ce que signifie le mot « style » ?

 

Le style, c’est historiquement ce qui se décrit, se dessine à l’aide d’un poinçon (pour écrire) que les Romains appellent « stilus », emprunté au Grec « stylos » qui désigne une colonne. Le style est donc l’expression d’une pensée appliquée à des objets, à un certain moment de l’histoire. C’est tout à la fois la traduction d’un art et le moyen que l’on s’est donné pour en tracer l’architecture.

En France, le mot style au sens de « genre » ne s’impose d’ailleurs qu’au XVIIème siècle, c’est-à-dire au moment où Louis XIV édifie Versailles et fait naître un art français, précisément architectural, dont l’adaptation se fera à tout ce qui peut relever de l’art décoratif : le meuble, la mode, les bijoux, l’écriture… L’influence en sera internationale. Elle survit toujours.

 


Aujourd’hui, tout le monde parle de design,  comment comprendre le mot « design » ?

 

Il est le dessin et le projet. Le mot est, vous avez raison, utilisé exagérément. Tout n’a pas de « style » et ne nécessite pas une pensée profonde. C’est ainsi. Et internet ne facilite pas la créativité. On copie beaucoup, innove finalement peu, sinon parfois sur le plan des matériaux.

Dans les années 1950, le mot design avait un sens. On reconstruisait le monde. Aujourd’hui on a plutôt tendance à le détruire. Il faudrait revenir à plus d’artisanat et considérer que le vrai style, comme le vrai « design », se nourrit du vécu et des nécessités humaines, planétaires, qui de tout temps à jamais ont été de s’asseoir, se coucher, manger, marcher… de la manière la plus agréable qui soit, et selon des modalités différentes.

 

Le style français,  cela veut dire quoi ?

 

Le style français est dès son origine, le Moyen Age donc, soucieux d’exotisme. C’est donc un style mêlé. L’Orient puis l’Italie à la Renaissance, l’Angleterre au XVIIIème siècle, le Japon puis la Chine ensuite ont introduit chez nous des vagues d’un goût nouveau facilité par l’émergence des voyages. Le style français est un art de la construction teinté de théâtralité.

C’est en quoi le baroque de Louis XIV en parait l’expression parfaite, mesurée et plaisante pour l’œil et l’âme, dont Versailles serait le catalogue idéal, du XVIIème au XIXème siècle.

 

Pourriez-vous nous parler  un peu du style « rococo » ?

 

En France, on préfère parler de style rocaille, style basé sur l’art des jardins, des rochers (d’où son nom) et des fontaines. Rococo est péjoratif même s’il est la traduction internationale du terme français. Sous Louis XV, une certaine manière de vivre, confortable, libéré voit le jour qui voudrait s’opposer au style strict, rigidifié, du règne de Louis XIV.

On rêve de féminité, de courbes, de mouvements et de couleurs. Les Anglais en sont les initiateurs. Et à la Cour de France, la charmante Madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV, née bourgeoise, soucieuse de bien-être et d’une certaine manière déjà, d’égalité.

 

Pourquoi au XIXème siècle,  après l’introduction de la machine dans les arts,  la notion de modernité a-t-elle été remise en question ?

 

Parce que l’on s’est éloigné du style ! Du « stilus », de la mesure humaine du « design » qui jusque-là n’était qu’artisanat, lien d’homme à homme, de pays à pays. On n’essayait pas de faire mieux ni pareil, on proposait des échanges de points de vue bâtis sur les traditions de chacun, les cultures, les habitudes forcément diverses. On inventait pour stimuler.

La machine a introduit l’idée de compétitivité, de concurrence, de combat presque, déloyal. On ne cherche pas à faire original. On cherche à produire ce qui se vendra le mieux, partout. Une erreur, on s’aperçoit que ça ne marche plus. Chacun souhaite posséder qu’un cocon, dans lequel il se sentira bien, et non parce qu’il est à la mode « mondiale », ce qui n’existe pas. Nous sommes différents et c’est très bien comme ça. Partageons.

 

Comment voyez-vous le design d’aujourd’hui, pourquoi pour vous, retournons-nous vers le passé, la simplicité, au « minimalisme » ?

 

Parce que nous ne sommes que de passage et que le mythe de la modernité initialement vue comme forcément positive est mort. La machine exécute. Elle ne crée pas. On s’est trompé de chemin. Il nous faut revenir à une véritable connaissance de ce qui fait nos caractères et construit nos arts, nos cultures.

Ainsi nous saurons mieux apprendre les uns des autres et respecterons des siècles d’accumulation de connaissances diversifiées qui ont fait nos œuvres et notre histoire intime. Nous devons servir l’art décoratif et cesser de l’utiliser à des fins mercantiles qui nuisent à la créativité. Servir, et non se servir.

 

Est-ce que la culture chinoise a influencé la France ?

 

Beaucoup.

Du marché Saint-Germain à Paris, ancêtre médiéval de nos Expositions universelles aux laques et porcelaines de Chine du temps de la Compagnie des Indes, dès le XVIIème siècle ; des jardins sino-anglais du XVIIIème siècle à l’Art déco du début du XXème siècle amoureux des formes épurées jusqu’à notre époque férue d’orientalisme, la Chine nous semble un magnifique répertoire stylistique dont nos ancêtres ont rêvé de posséder des collections, quand ils ne s’en sont pas inspiré. On parlait alors de « Chine de commande »…

N’oublions pas que la France a lu tôt le livre des Merveilles de Marco Polo. Nous essayons d’en poursuivre le voyage.

 

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