PORTRAIT : Colomba de La Panouse

 

 

À quelques kilomètres seulement du domaine familial de Thoiry, Colomba de La Panouse a choisi d’écrire sa propre histoire.

Une histoire ancrée dans la terre, rythmée par les saisons et portée par une conviction profonde : l’écologie n’est pas une contrainte, mais un art.

Après vingt-cinq ans à la tête du service zoologique du parc de Thoiry, où elle a mené des projets d’envergure tels que l’Arche des Insectes et la mise en place d’une unité de méthanisation, celle qui a tant œuvré pour le vivant tourne une page.

Non pas pour tout quitter, mais pour donner vie à un rêve personnel : sa ferme biologique, un lieu à son image, libre et inspiré.

 

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Citron yuzu, kiwaïs, kakis… Colomba cultive avec dévotion ces trésors botaniques méconnus. Chaque plante est observée, chaque sol est écouté. Ici, on pratique une agriculture régénérative, douce, sans produits chimiques. Une agriculture qui incarne les valeurs qu’elle a toujours défendues.

Formée à l’art, à la biologie et à l’architecture, ses mains racontent cette alliance rare entre la rigueur de la biologiste et l’intuition de l’artiste.

Femme de terrain et de réflexion, elle porte sur le monde un regard à la fois réaliste et résolument poétique.

 

 

Rencontre exclusive avec

Colomba de La Panouse

 

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Votre ferme biologique est un projet audacieux. Pouvez-vous nous en parler ?

Nous avons consacré un hectare entier au kiwai. C’est un fruit originaire de Chine, cousin du kiwi, mais plus petit et à la peau lisse. Nous venons tout juste de terminer la récolte : la quasi-totalité a déjà été vendue, et nous transformons le reste en pâte de fruits.

Nous cultivons également le citron yuzu, ainsi que plusieurs variétés de kakis, asiatiques et américaines. C’est notre deuxième année de récolte pour les agrumes et le kiwai, et la première pour les kakis.

L’aventure ne fait que commencer ! L’année prochaine, nous espérons même récolter nos premiers fruits de la passion.

 

Pourquoi avoir choisi le biologique ?

Pour moi, c’était une évidence. J’ai toujours soutenu l’agriculture biologique et privilégié les circuits responsables, mais je trouvais souvent l’offre limitée. Je me suis dit qu’il fallait proposer autre chose que les traditionnelles pommes et poires.

Je suis très gourmande, et pour découvrir des saveurs inédites, il faut parfois… les cultiver soi-même ! Ainsi, on sait exactement ce que l’on mange, et on redonne du sens à l’acte de produire.

 

Ces productions atypiques séduisent-elles les professionnels ?

Énormément ! Les chefs étoilés sont ravis de découvrir des produits qu’ils ne connaissent pas encore. Leur proposer des saveurs nouvelles crée un dialogue passionnant entre producteurs et cuisiniers. Nous travaillons donc avec eux, tout en commercialisant aussi nos fruits auprès du grand public.

 

Vous cultivez également des fleurs ?

Oui, parce que j’adore ça ! Nous réalisons des créations florales pour les marchés de Noël : compositions en fleurs séchées, couronnes, décorations de saison…

C’est un projet encore jeune : les plantations ne sont pas toutes achevées. Nous avons commencé par les cultures agricoles, mais la partie florale et jardin prend déjà forme.

 

Comment est née cette aventure ?

Tout est parti de terres agricoles familiales auxquelles il fallait redonner du sens. Bien que la culture céréalière soit une activité noble, elle ne correspondait pas à mes aspirations. Je voulais une agriculture plus vivante, plus en lien avec mes valeurs. C’est ainsi qu’a germé l’idée de créer une ferme biologique dédiée à des cultures originales.

À l’époque, je travaillais encore au parc animalier, mais je passais mon temps libre à chercher des fruits capables de s’adapter à notre terroir tout en apportant une touche d’exotisme et d’innovation.

 

Comment vous êtes-vous préparée à cette reconversion ?

Comme il s’agissait de cultures encore méconnues en France, j’ai dû me former entièrement par moi-même. J’ai visité des exploitations en Belgique et jusqu’en Pennsylvanie, aux États-Unis, pour observer les techniques de culture du kiwi et comprendre les subtilités du climat, du sol, de la taille, de la récolte.

Ces voyages ont été extrêmement enrichissants. Ils m’ont permis d’acquérir des connaissances concrètes que j’ai ensuite adaptées à notre terroir et à nos conditions locales.

Nous avons lancé les premiers aménagements en 2020, en pleine période de Covid, en commençant par les plantations de kiwis.
Chaque étape a été réfléchie et mûrie, sans précipitation, pour construire un projet solide et durable.

 

Face aux défis climatiques, quelle stratégie avez-vous adoptée ?

La diversification est notre mot d’ordre. Nous devons composer avec les aléas du climat ; plutôt que de tout miser sur une seule production, nous avons choisi d’ouvrir plusieurs voies. Cela passe par la diversité de nos cultures, comme le kiwai, les agrumes, les kakis ou encore les fruits de la passion, mais aussi par la diversification de nos activités. Ainsi, nous transformons nos fruits en pâtes de fruits et autres produits gourmands.

Le développement de nos chambres d’hôtes s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Les visiteurs sont curieux de comprendre le « pourquoi » et le « comment » de notre démarche, qu’il s’agisse de nos choix agricoles ou de nos pratiques écologiques. Nous recevons d’ailleurs énormément de demandes, c’est pourquoi nous ouvrirons le domaine aux visites l’année prochaine.

 

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Pouvez-vous nous parler de vos bâtiments éco-construits ?

Nous avons imaginé et réalisé nos propres éco-conceptions. Une partie des bâtiments est encore en travaux, mais tout devrait être achevé d’ici quatre ou cinq mois.

Notre approche repose sur un principe simple : faire travailler la nature avec nous, plutôt que contre elle.

Prenons l’exemple de la serre bioclimatique : c’est un véritable organisme vivant. En hiver, les arbres à feuilles caduques perdent leur feuillage et laissent passer la lumière du soleil, qui vient chauffer un mur noir à l’intérieur.

Ce dernier emmagasine la chaleur et la restitue progressivement. En été, ces mêmes arbres offrent leur ombre bienveillante, complétée par des ombrières qui permettent de réguler naturellement la température.

 

Et pour le refroidissement ?

Nous avons mis en place un système ingénieux de tuyaux enterrés. En été, l’air chaud est aspiré, passe sous terre où il se rafraîchit naturellement avant d’être réinjecté dans la serre.

En hiver, nous fermons les ouvertures pour conserver la chaleur accumulée. Résultat : la température ne descend jamais sous zéro, sans aucun chauffage.

 

Et les chambres ?

Elles sont enterrées elles aussi, car la terre maintient une température constante de 12 à 14 °C. Ainsi, au lieu de refroidir de 40 °C à 4 °C, nous n’avons plus qu’à passer de 14 °C à 4 °C, ce qui représente une économie d’énergie colossale. C’est un parfait exemple d’intelligence naturelle appliquée à la construction.

 

Les matériaux utilisés sont également remarquables ?

Tout à fait. Ce bois noir que vous voyez est du bois brûlé selon la technique japonaise du shou sugi ban, un procédé ancestral qui le rend naturellement résistant aux insectes et aux intempéries, tout en lui donnant cette patine unique.

Pour l’isolation, nous avons créé notre propre torchis écologique, à base de chaux et de miscanthus, cette herbe séchée et broyée que vous apercevez dans les champs autour de nous.

Mélangée à la chaux, elle forme un isolant naturel d’une efficacité remarquable. Couplée à l’épaisseur des murs, elle nous offre un confort thermique exceptionnel, sans matériaux industriels.

 

Une véritable démonstration d’éco-construction…

Exactement ! Chaque élément a été pensé pour que l’architecture dialogue avec l’environnement. C’est pour moi la définition même de la durabilité : concevoir des espaces qui respirent au rythme du vivant.

 

Ces aménagements représentent-ils un coût important ?

Bien sûr, c’est un investissement, mais un investissement sur l’avenir.

Regardez nos toitures végétalisées : pour l’instant, seules quelques “mauvaises herbes” s’y sont installées naturellement, mais nous allons y planter une véritable biodiversité.

Les arbres seront plantés prochainement au nord des bâtiments pour protéger du vent du nord

Chaque détail a été soigneusement réfléchi.

Même les terrasses ont été conçues pour atténuer les effets du couloir de vent. Rien n’est laissé au hasard.

 

Vous évoquez une influence du Feng Shui ?

Oui, tout à fait. Cette approche est très inspirée de la tradition chinoise du Feng Shui, cet art millénaire qui consiste à aménager un lieu en fonction de l’eau, des vents, du relief et du climat.

Bien avant que l’on parle d’écologie, ces principes existaient déjà, profondément ancrés dans une compréhension intuitive de la nature.

Aujourd’hui, nous les réinterprétons avec une conscience moderne, mais l’esprit reste le même : vivre en harmonie avec les forces naturelles.

 

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Comment avez-vous vu évoluer la sensibilisation du public à l’environnement au fil de votre carrière ?

Quand j’ai débuté au parc zoologique en 1996, le mot « biodiversité » n’existait tout simplement pas dans le vocabulaire du grand public. Je devais en expliquer le sens lors des visites guidées. À l’époque, la protection des espèces menacées paraissait abstraite, presque théorique.

Aujourd’hui, c’est fascinant de voir à quel point les mentalités ont évolué. Même les enfants comprennent ce qu’est la biodiversité et pourquoi elle est essentielle. Cette prise de conscience collective est, à mes yeux, l’une des plus belles évolutions de notre époque.

 

L’Arche des Petites Bêtes est-elle née de cette initiative ?

Absolument. Traditionnellement, les parcs zoologiques mettaient en avant les animaux “charismatiques” comme les lions, les girafes ou les éléphants, car c’est ce qui attirait le public.

Notre défi, à Thoiry, a été d’inverser cette logique : donner de la visibilité et de la valeur à ces petites créatures discrètes qui jouent pourtant un rôle vital dans nos écosystèmes.

C’est ainsi qu’est née l’Arche des Petites Bêtes, un espace dédié aux insectes, ainsi qu’à d’autres petits invertébrés, amphibiens, reptiles et mammifères.

 

Comment avez-vous réussi à captiver le public avec ces “petites bêtes” ?

Il fallait innover, bien sûr.

Nous avons voulu créer une expérience à la fois ludique, poétique et pédagogique, où l’on apprend sans s’en rendre compte. Le symbole de l’Arche de Noé s’est imposé naturellement : c’est un mythe universel, qui parle à tout le monde, petits et grands.

Notre objectif n’était pas de donner un cours magistral, mais de susciter la curiosité et de reconnecter les visiteurs à leur sens de l’émerveillement. Quand on s’amuse, le message passe tout seul.

 

Et le public a-t-il répondu à cette approche ?

Oui, au-delà de nos espérances.

Je me souviens d’un sondage réalisé en 2015 : l’Arche des Petites Bêtes arrivait en tête des attractions préférées des visiteurs. C’était un signal fort. Cela signifiait que nous avions réussi à faire changer le regard du public : ce qui paraissait insignifiant devenait fascinant. Les insectes, autrefois perçus comme gênants, étaient désormais vus comme de véritables trésors de la nature.

 

Considérez-vous votre approche comme précurseuse ?

Pas nécessairement dans la technologie elle-même, mais plutôt dans la façon dont nous l’intégrons.
Notre véritable innovation réside dans cette vision systémique, où différentes approches et technologies s’articulent pour créer un écosystème cohérent et durable.

J’aime imaginer cela comme un grand puzzle : chaque pièce, qu’il s’agisse d’énergie, d’architecture, de biodiversité ou d’agriculture, a sa place, et l’enjeu est de trouver comment elles s’emboîtent harmonieusement.

J’ai toujours eu cette curiosité presque instinctive : dès que je découvre une nouvelle idée, une technique ou une invention, ma première question est toujours « Comment pourrions-nous l’appliquer à Thoiry ? »

Même l’intelligence artificielle m’intrigue énormément. Elle ouvre des perspectives fascinantes, à condition bien sûr de garder le contrôle de l’outil, et non l’inverse.

L’innovation, pour moi, ce n’est pas une course à la technologie. C’est une démarche d’exploration, faite d’essais, d’erreurs parfois, mais toujours d’apprentissage.

 

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Interview: Wendy

Rédaction: Hervé

Photo: Charles

 

 

Proposition de lecture:

https://www.airsdeparis.fr/cultures/chateau-de-thoiry-les-civilisations-conversent-a-travers-les-siecles/

https://www.airsdeparis.fr/balade/thoiry-lumieres-sauvages-2025/

 

 

 

 

 

 

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