La 9e édition du Festival des opéras traditionnels chinois s’est tenue du 6 au 10 novembre 2024 au Centre culturel de Chine à Paris.
Cet événement, qui s’est déroulé sur cinq jours, a présenté une riche variété de représentations d’opéras traditionnels chinois, mettant en lumière la diversité des formes d’art dramatique en Chine.
Parmi les spectacles marquants, le Lauréat Zhang Xie est reconnu par les historiens modernes comme « la première pièce de théâtre de Chine ».
Cette œuvre, qui est la plus ancienne et la plus complète pièce de « théâtre du Sud » sous la dynastie Song, a été interprétée par l’Institut de recherche sur l’art de l’opéra Ou de la ville de Wenzhou.
FANG Rujiang, une figure importante dans l’opéra Ou, a joué le rôle principal dans cette représentation. Une rencontre exclusive avec FANG Rujiang a permis d’approfondir notre compréhension de cet art fascinant.
Interview avec
FANG Rujiang
Pouvez-vous nous donner une brève introduction au théâtre traditionnel chinois ?
Le théâtre traditionnel chinois est une expression emblématique de l’esthétique chinoise et l’un de ses plus hauts standards. Il intègre des éléments variés tels que le chant, la narration, l’interprétation, le combat, ainsi que des gestes des mains, des yeux, du corps, et des pas, révélant ainsi le charme unique de cet art. C’est une forme d’art intégrante qui englobe le chant, la danse, la littérature, les arts plastiques et des techniques de cirque. Cette diversité confère à l’expression artistique de l’opéra une richesse et une variété remarquables.
L’histoire du développement de l’opéra chinoise remonte à environ neuf cents ans, voire mille ans. L’un des premiers genres théâtraux est le « Nanxi » de Wenzhou, considéré comme la forme la plus ancienne et la plus aboutie du théâtre chinois. Bien que le Nanxi ait progressivement disparu de notre vue aujourd’hui, son influence demeure présente dans de nombreux genres théâtraux contemporains.
Actuellement, il existe plus de 360 genres d’opéra en Chine, témoignant de sa profondeur et de sa richesse. Ce patrimoine culturel, véritable trésor de l’art chinois.
Pourquoi est-ce que l’art de l’opéra a émergé ?
Dans l’histoire de Wenzhou, l’empereur Song Huizong a visité cette région, apportant avec lui des poètes et des artistes folkloriques, ce qui a permis de rassembler une riche ressource culturelle. Dans ce contexte fertile, des talents ont commencé à écrire des scénarios, menant à la création de la première pièce de théâtre chinoise, « Zhang Xie Zhuangyuan ».
La forme initiale de l’opéra se concentrait principalement sur la narration d’histoires à travers le chant et la danse. Le Nanxi, l’une des premières formes d’opéra, représente le style le plus ancien et le plus abouti du théâtre chinois. Les premières représentations manquaient souvent de personnages ou d’intrigues spécifiques.
Cependant, au fil du temps, l’opéra a progressivement intégré des rôles et des intrigues, utilisant le chant et la danse pour interpréter les récits. Cette évolution a marqué la formation d’un véritable système d’opéra.
Une fois que l’opéra a pris forme, il a commencé à posséder une structure de scénario, un contexte historique et des caractéristiques de personnages. Les rôles dans l’opéra se divisent en plusieurs types, tels que Sheng (rôle masculin), Dan (rôle féminin), Jing (rôle de guerrier), Mo (rôle secondaire) et Chou (rôle comique), chacun ayant ses propres spécificités.
Par exemple, le rôle masculin, appelé « Sheng », peut être subdivisé en Laosheng, Wusheng et Xiaosheng ; le Wusheng se concentre sur la performance martiale, tandis que le Shusheng met l’accent sur l’expression littéraire. Ces définitions de rôles enrichissent l’expressivité de l’opéra, permettant à chaque personnage de résonner avec le public.
L’opéra est intimement lié à la vie quotidienne, reflétant souvent les expériences et les émotions des gens. Le proverbe chinois « Le théâtre est comme la vie, et la vie est comme le théâtre » en est une illustration parfaite. C’est précisément dans cette interconnexion que réside le véritable charme de l’opéra, où chaque performance devient une occasion de plonger dans les réalités humaines et d’explorer la richesse de nos sentiments.
Lors de ce festival d’opéra, pensez-vous que les Français sont capables de comprendre cet art ? Pensez-vous qu’il existe des différences culturelles entre la compréhension de l’opéra en Chine et en France ?
C’est la première fois que nous présentons un spectacle de cette envergure à Paris. Notre pièce, est un chef-d’œuvre ancien date de neuf cents ans.
Avant la représentation, j’avoue avoir ressenti des doutes. Cependant, la présence d’une importante communauté de Wenzhou à Paris m’a réconforté. Mon souhait était que non seulement les Chinois puissent saisir l’essence de notre spectacle, mais aussi que les Français découvrent le charme unique l’opéra de Wenzhou. Pour atteindre cet objectif, j’ai encouragé l’invitation des Français à assister à notre représentation.
En l’espace de deux ou trois jours, tous les billets se sont vendus, ce qui prouve que l’opéra chinois continue de susciter l’intérêt des spectateurs parisiens. Lorsque nous sommes montés sur scène, les applaudissements chaleureux du public m’ont rassuré. Tout au long de la représentation, les réactions du public étaient remarquablement similaires à celles que nous recevons en Chine, avec une interaction tout aussi vivante.
Après le spectacle, j’ai demandé à mes amis chinois si les Français assis à côté d’eux avaient pu comprendre la pièce. Ils m’ont confié que, semble-t-il, les Français avaient réellement saisi le sens de notre performance. Au cours de leurs échanges, ces derniers avaient même développé leur propre interprétation.
Des spectateurs français ont posé des questions à mes amis chinois, comme : « Est-ce que vous pouvez applaudir et crier comme ça en regardant de l’opéra en Chine ? Cela ne dérange pas les artistes, n’est-ce pas ? » Certains de mes amis leur ont expliqué que l’appréciation de l’opéra chinois implique effectivement une interaction avec le public. En Chine, le succès d’une représentation théâtrale dépend largement de cette participation. Cette interaction enrichit non seulement l’attrait de la performance, mais permet également aux spectateurs de ressentir plus profondément l’essence de l’opéra.
Quelle direction pensez-vous que prendra le développement futur de l’opéra ?
Mon époque diffère considérablement de celle de mes prédécesseurs, notamment des années 50, 60, 70 et 80. Cependant, l’expression de l’opéra continue de respecter ses caractéristiques fondamentales : les gestes, le regard, le corps, la technique, le pas, le chant, la récitation, la performance et le combat.
Le théâtre est par essence un art composite, et cela demeure vrai aujourd’hui. À notre époque, les styles artistiques se sont diversifiés. J’écoute des comédies musicales, regarde des pièces de théâtre et même des films. Cette variété de formes artistiques nous pousse à intégrer différents éléments dans nos productions.
Ainsi, lorsque je joue des pièces anciennes, je les adapte pour un public moderne. Par exemple, mon interprétation de « Zhang Xie Zhuangyuan » diffère grandement de celle de mes aînés d’il y a vingt ans. Je dépeins un personnage complexe ; bien qu’il soit un homme de peu de valeurs, même dans une intrigue vieille de neuf cents ans.
Je ne crois plus aux rôles absolus. Personne n’est définitivement bon ou mauvais ; chacun porte en soi une complexité. La vie moderne et les pressions sociales peuvent amener une personne à s’effondrer en un instant, ou, à l’inverse, à trouver une clarté après une quête de force. Les gens d’aujourd’hui sont diversifiés, et leurs attitudes le sont également. Les spectateurs modernes apprécient particulièrement cette exploration des profondeurs psychologiques des personnages.
J’ai également eu l’occasion de jouer dans des pièces contemporaines, comme « Lan Xiaocao », qui raconte l’histoire émouvante d’un médecin sur une île. Ce personnage, dont les dons désintéressés ne sont reconnus qu’à sa mort, incarne un modèle moderne de dévouement.
Dans le contexte actuel, l’opéra peut conserver son essence traditionnelle tout en intégrant des éléments contemporains pour répondre aux attentes d’un public diversifié. C’est ainsi que l’opéra peut non seulement perdurer, mais aussi résonner avec la vie moderne, en s’adaptant aux sensibilités d’un public en constante évolution. Cette capacité d’adaptation est essentielle pour maintenir la pertinence de cet art dans notre société actuelle.
Regard croisé entre
FANG Rujiang et Dantès
Dantès, également connu sous le nom de Dantès Dai Liang, est un artiste aux multiples facettes dont la carrière musicale est profondément ancrée dans la culture chinoise.
Ayant étudié au Conservatoire de musique de Shanghai, il a exploré une variété d’instruments traditionnels chinois.
Dantès se présente comme un véritable ambassadeur culturel, utilisant sa passion pour la musique afin de favoriser les échanges entre différentes traditions.
Son parcours illustre non seulement son talent artistique, mais également sa capacité à naviguer entre les cultures, enrichissant ainsi son œuvre et celle de ses collaborateurs.
L’opéra chinois et le chant français : comment appréhender les différences ?
FANG Rujiang et Dantès ont partagé leurs perceptions respectives sur les distinctions entre l’opéra chinois et le chant français à travers un échange enrichissant.
Dantès :
Je pense que la première différence réside dans la manière de traiter les hautes notes. Dans l’opéra chinois, ces notes sont très élevées. Comme je l’ai mentionné précédemment, certains auteurs français, en parlant du Jingju et du Kunqu, comparent souvent ces voix à celles des chats.
La deuxième différence concerne bien sûr les gestes. Lorsque je regarde le Jingju ou d’autres formes d’opéra, je me sens souvent confus quant à la signification de ces mouvements. En raison de mon manque de compréhension du contexte culturel, il m’est difficile de saisir leur signification. Je pense que l’expression par les gestes, le langage et les mouvements corporels peut varier considérablement d’une culture à l’autre.
FANG Rujiang :
L’art est profondément ancré dans la vie. Dans le rôle de xiaosheng que j’interprète, qui évoque un jeune homme, il est essentiel que mes gestes demeurent souples et fluides. La position de mes doigts joue un rôle crucial, car elle exprime les caractéristiques d’un jeune homme.
Par exemple, les gestes de la main en orchidée et du doigt en orchidée sont utilisés pour refléter une image de jeunesse et de grâce. Ces mouvements délicats ne sont pas seulement esthétiques, mais ils véhiculent aussi une symbolique forte, incarnant l’élégance et la vitalité de la jeunesse.
Dantès :
Il arrive que les Français ne saisissent pas toujours la signification de ces mouvements. Beaucoup d’entre eux peuvent percevoir ces gestes comme légèrement féminins, alors qu’en réalité, cette forme artistique est d’une grande élégance.
Il est essentiel de comprendre le contexte culturel pour apprécier pleinement la beauté et la profondeur de ces expressions artistiques.
FANG Rujiang :
L’opéra chinois repose sur un ensemble complet de systèmes qui s’inspirent directement de la vie quotidienne. Par exemple, lorsqu’on boit, il est essentiel de tenir le verre de manière à ce que le mouvement reste élégant, sans dévoiler la façon dont on le saisit, ce qui témoigne de l’élégance dont vous parlez.
Le rôle de xiaosheng reflète l’image d’un jeune garçon, avec une voix claire et pleine de vitalité. À l’inverse, le laosheng présente un style distinct qui ne peut être confondu avec celui du xiaosheng. Chaque rôle et chaque catégorie possède ses propres particularités, et la manière de modeler la voix varie également d’un personnage à l’autre. L’art de l’opéra n’est pas difficile à comprendre ; tant que je l’explique clairement, vous pourrez en saisir les nuances.
Dantès :
Je pense que les Grecs seraient plus familiers avec l’opéra chinois et comprendraient mieux ses subtilités. Dans leur culture, la distinction des émotions, qu’il s’agisse de colère ou d’autres sentiments, est très claire. En revanche, en France, nous ne mettons peut-être pas autant l’accent sur ces nuances émotionnelles.
Lorsque nous chantons, la mélodie a tendance à être plus monotone et plate. Par exemple, à mon arrivée en Chine, mes mélodies étaient de ce style, mais mes amis chinois m’ont conseillé d’y apporter des variations. Les Français ont souvent une expression plus littérale, où le contenu profond prime, même si la forme d’expression reste plus simple.
De plus, notre manière de nous exprimer peut créer une certaine distance. Ce n’est pas que nous soyons fiers, mais nous avons tendance à ne pas prêter attention à certains détails émotionnels. Nous pouvons exprimer des idées très profondes, mais la mélodie peut rester simple ; je pense que cela illustre bien le style français.
FANG Rujiang :
L’expression des émotions dans l’opéra est extrêmement nuancée. Que ce soit la colère ou la joie, chaque émotion est exprimée avec une grande intensité. La performance de l’opéra de Wenzhou, bien que très extrême et exagérée, semble résonner avec le public français, qui l’apprécie sincèrement. Lors d’une interview ultérieure, des spectateurs parisiens ont décrit cette forme d’art comme étant à la fois belle et profonde.
Le lendemain de ma performance, j’ai animé une conférence à laquelle la majorité des participants avaient assisté au spectacle la veille. Beaucoup d’entre eux étaient désireux d’explorer davantage le monde de l’opéra. Lors de cette conférence, j’ai partagé mon expérience et interagi avec le public, leur permettant de ressentir pleinement le charme de l’opéra chinois. Cela a créé un lien entre les cultures et a ouvert la porte à une meilleure compréhension de cette forme artistique.
Interview : Wendy
Rédaction : Hervé
∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼
Airs de Paris
en Kiosque
∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼
06 / 2024
Magazine digital et imprimé :
https://www.journaux.fr/airs-de-paris_mode-beaute_feminin_280044.html
∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼
Airs de Paris
Abonnement dans le monde
∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼∼
https://www.uni-presse.fr/abonnement/abonnement-magazine-airs-de-paris/